Magdi Youssef

Pour une Démocratisation / Démystification du Théâtre: 
Le Rapport "Occident " vs " Orient "

Cet essai fut écrit avec le concours du Centre International de la Recherche de l'Interweaving Performance Cultures de l'Université Libre de Berlin.

Si chaque époque a ses propres réalités, elle a aussi ses propres mythes qu'elle érige souvent en "axiomes" évidents. Parmi ces mythes largement admis de nos jours comme axiomes, on peut citer l'assertion selon laquelle le théâtre serait un phénomène occidental à telle enseigne que d'aucuns fondent leurs conceptions de "l'unité de la littérature européenne" sur cet "axiome" mythe.(1) Pour ceux-ci, le théâtre est bel et bien un phénomène européen, et si vous voulez l'emprunter vous devez préserver son moule occidental (Western FORM) et vous pouvez ensuite verser dans le moule ce que bon vous semble de l'essence et des cultures de l'Orient, ou le laisser tel quel, l'aborder et le traiter. Et si vous avez changé quoi que soit dans ce moule"occidental", votre acte sera considéré comme n'ayant rien avec le théâtre, car le théâtre, comme tout jeu, a ses propres  "règles " et quiconque les a transgressées se trouve en hors jeu (2).

L'étonnant, c'est que parmi les apôtres de cette catégorie mythe figurent des chercheurs de renom en sociologie du théâtre (3), pourqui il aurait été plus approprié de se méfier d'y ajouter foi et de s'y faire l'écho. Ces mêmes chercheurs qui savent très bien que la scène italienne , par exemple, n' a été crée que pour satisfaire un besoin précis qui a déterminé sa disposition de cette manière, afin qu'elle soit en face du cabinet du Roi, considéré comme son protecteur, à l'ombre de relation socio économiques spécifiques et dans le cadre de l'étiquette observée à la cour royale et ses contraintes formelles. Pourquoi donc avoir besoin par exemple, de cette scène artificielle avec ses coulisses et rideaux lorsqu'il s'agit d'une veillée populaire, ou il ya ni maître ni subalterne, ni gouvernant ni gouverné  et tous les gens sont égaux, qu'ils soient présentateurs ou récepteurs du spectacle, même si en recevant celui-ci, ces derniers n'étaient ni moins créatifs que ses " producteurs" initiaux ni moins enrichissants du même spectacle grâce à des ajouts aussi spontanés que directs. 

La "Halka" (cercle) au Maghreb arabe et le "Samer" Egyptien ne seraient ils pas plus proches, et donc plus à même, de réaliser ce plaisir "artistique" d'une façon telle que production et consommation "théâtrales " soient, non plus séparées, mais entremêlée pour atteindre le maximum de délectation consommation à la fête de l'épuration de production la plus flamboyante et la plus spontanée, et vice versa?
Comment la scène italienne, avec son corollaire dissociant artificiellement la production (le spectacle dramatique) de sa consommation "sa réception", pourrait satisfaire ce besoin naturel et spontané?

Est-ce pour cela qu'il n'est pas permis de considérer la "Halka" solidement enracinée dans le Maghreb arabe et le "Samer" (le veilleur) Egyptien (4) comme faisant partie de l'acception du théâtre?

Il n'est pas dans mon esprit ici de "m'insurger" contre les traditions et les concepts du théâtre prévalant dans le monde d'aujourd'hui, car ils ne méritent rien de cela, pour une raison simple c'est qu'ils renversent les choses, afin qu'elles soient conformes aux normes de la culture dominante dans notre monde. Cependant, n'avons nous pas le droit, en tant que chercheurs, de nous interroger quel sera parmi les deux modèles, celui qui est de nature à réaliser le jeu théâtral, le modèle qui se joue, au niveau de la forme, la production à la réception? Où bien le modèle qui rend la réception plongé plus profondément dans la production  immédiate du texte et qui fait que le texte soit plus uni et plus associé avec ses récepteurs? C'est une simple question.

Si par hasard le théâtre "occidental", vu sous l'angle de cette modeste forme de communication, et qui constitue l'un des principaux supports soutenant l'opinion des apôtres de la littérature européenne, venait d'être démystifiée et dépouillé du mythe de sa prétendue supériorité, les apôtres de cette idée tel que E. R. CURTIUS; E. AUERBACH et R. WELLEK, s'en tiendront ils à ce qu'ils considèrent comme une "unité" européenne en matière de littérature dramatique ou en revanche, seront ils amenés à se tourner vers les expériences et les modèles de l'ensemble des pays du monde, qu'ils soient du Sud ou du Nord pour les apprécier sur le même pied d'égalité, pour que chacun puisse apprendre de la différence le l'autre.

Le Sud à beaucoup appris des expériences de théâtre menées dans le Nord, et il n'y a rien de mal à ce faire. Mais, n'est il pas venu le moment de voir les peuples du Nord apprendre de ce qui leur ont échappé des expériences du sud, dans le théâtre comme dans la vie?
 

Pour un théâtre sans rive

Je ne pense qu'il y ait un grand désaccord sur le fait de considérer qu'il n'existe pas de théâtre authentique qui joue exclusivement selon les seules règles d'ARISTOTE ou qui s'insurge contre elle à la manière du seul théâtre épique de BRECHT, ou qui se contente des seules expériences de PISCATOR ou de STANISLAVSKI ou de MAYERHOD, ou du théâtre de boulevard ou de café.
Toutes ces expériences et ces conceptualisations dramatiques émanent de causes et d'oppositions inhérentes à un contexte cocio-culturel spécifique, comme une réaction de ce contexte par le biais d'une refonte du patrimoine théâtral et, partant, comme une cristallisation du courant théâtral différent imposé par un besoin social bien déterminé.
C'est pourquoi, tous ces modèles dramatiques, en dépit de ce qu'ils ont obtenu comme résultat suscitant la méditation à la mesure de l'effort et de l'énergie fournis pour leurs productions, ne sauraient être, en définitive, que le fruit de la culture de la société dont ils émanent avec tous ses conflits et sa polémique socio-culturelle pour laquelle ces modèles et ces discours sont faits.

Si la coïncidence a fait que cela se produise dans les pays de l'occident parce que les lumières les ayants longtemps mis en vedette durant les temps modernes, n'est il pas encore venu le moment pour les auteurs de ces modèles afin qu'ils apprennent des patrimoines du théâtre de l'ensemble des peuples du monde, longtemps, restés éloignés de ces lumières éblouissantes?

Et qui a dit que ces auteurs n'ont absolument rien appris de cela? Les plus avancés d'entre eux n'ont ils pas appris du patrimoine dramatique de l'Asie, tel que ARTAUD, puisant dans le théâtre de BALI indonésien et BRECHT, puisant dans le théâtre "NO" japonais.
Cependant, une fois ce qu'ils ont appris des cultures du Sud est réexporté vers les pays du Sud, on ne tarde pas à constater que leurs exportations portaient les traits caractéristiques du Nord, voire les traits caractéristiques des cultures de certaines sociétés bien déterminées.
Bien entendu, il n'y a rien de mal à cela, le fait pour une culture de recevoir et d'accueillir une autre culture ne peut que favoriser la modification de l'œuvre accueillie, par l'effet de la différence du contexte culturel accueillant. Que dire alors quand il s'agit comme c'est le cas de notre propos, de sociétés aussi différentes les unes que les autres aux plans linguistiques, culturels et socials?

Pour cette recherche constructive, on peut transformer l'interférence (au sens négatif) entre les civilisations en une interaction positive entre elles, basés sur la conscience de la différence objective entre soi-même et l'autre. Sans aucune tentative d'ethnocentrisme ou de marginalisation de l'autre et sans chercher une fusion romantique dans le diffèrent éperdument aimé, mais plutôt en traitant avec l'autre de façon à rendre la perception de la réalité culturelle du soi plus claire et donc plus à même d'apporter un plus tant à son entité propre qu'aux autres entités.
 

Le théâtre en tant que modèle

Si, comme le fit SISYPHE, on se pose la question, simple en apparence, de savoir ce qu'est le théâtre, et si on veut le définir tel qu'il était dans son premier élément d'ou émanent toutes ses formes et ses problématiques, serait-il risqué de dire que le théâtre constitue un modèle gestuel et interactif qui prend une position artistique – donc indirecte – plutôt médiatisation vis-à-vis de la nature et de la société, dans un contexte historique déterminé? Et que cette position exprime souvent une relation conflictuelle entre les idées dominantes et des idées dominées dans une société donnée, liée aux rapports entre les gens de cette société, à travers son approche de patrimoine du théâtre et des modèles qui lui sont propres.

Si nous supposons, sur le plan dialectique, qu'une société donnée venait d'être débarrassé de toutes formes de conflits ou de différences il serait possible que cette société ait son théâtre – ce théâtre revêtira mêmes deux aspects contradictoires, le premier aspect confirmera la conception ou l'illusion prévalant qu'il n'y a pas de vraie différences, dans cette société, aspect probable généralement dans le théâtre de divertissement et de consommation où le spectacle se termine traditionnellement par une fin heureuse (Happy End).
Le second aspect, en revanche, serait un théâtre de lumière qui favorise son chemin sur les zones d'ombre et les illusions , lumières dans les esprits des spectateurs, pour les éveiller et les impliquer dans la découverte de leur réalité.
Dans les deux cas tout dépend de la manière avec laquelle il aura abordé et traité le patrimoine de la représentation théâtrale et ses modèles.

Cette méthode en elle-même, ou ce modèle théâtral, est en soi une position vis-à-vis des relations entre les hommes qui ne sauraient être qu'éclairante ou obscurcissante selon qu'elle met en évidence les illusions des participants à cette relation sociale bien déterminée et qu'elle essaie de fortifier en illusions par un discours dramatique susceptible de l'accentuer ou bien de les démasquer et les mettre à nu.
Mais, la chose étonnante, n'assiste-t-on pas souvent à un théâtre traditionnel dans ses outils, sa scène et ses coulisses, et parfois dans son interprétation alors qu'il est critiqué et éclairant quant aux questions qu'il traite, stimulant aussi chez les spectateurs méditations et réflexion, allant jusqu'à apporter un plus aux problèmes qu'il pose? Entre temps nous trouvons un théâtre  "d'expérimentations" s'essoufflant à la recherche des dernières modes reconnues dans des contextes socioculturels différents, généralement occidentaux ou s'inspirant du patrimoine populaire propre s'essoufflant à sa société et s'essoufflant à sa culture de façon purement formelle, le vidant ainsi de son contenu réel?  II devient aussi, avec son expérimentation de pure forme, plus loin de pouvoir satisfaire les besoins de ses spectateurs et de son peuple de s'impliquer dans un jeu ouvrant devant eux des horizons de réflexions et de méditations que cela pourrait arriver, mais le théâtre de lumière – même émanant des entrailles du théâtre traditionnel – est le plus souvent porteur d'ajouts aux techniques du théâtre expérimental.

De son côté le théâtre expérimental reste incapable de dépasser cette tendance et même de la développer.
Les expériences historiques qu'on a connues, les besoins humains les plus rudimentaires, aussi compliquées qu'elles soient, le théâtre a souvent recours à  la compensation de ces besoins, en utilisant des techniques – en sens technologique du terme – qui d'emblée semble d'un extrême éblouissement – comme la fait ERWIN PISCATOR dans son exil newyorkais en conservant un théâtre exauçant le rêve de supériorité technologique américaine , ce qui lui a valu le titre de citoyen d'homme est un hommage spécial de la ville New York.
Mais n'est-il pas venu  à l'esprit que ce qui a poussé PISCATOR  à ce théâtre technologique était son échec à poursuivre ses expérimentations théâtrales populaires dont il a semé les germes en Allemagne durant les années vingt?(5)

 Mais il, serait de bon augure de constater que le coût énorme du théâtre technologique a rendu son imitation impossible dans la plupart des pays du monde, dont les peuples vivent de l'importation des denrées qui servent à fabriquer leur pain quotidien, à laide de prêts américains accordés au taux du marché.
Face à ce théâtre technologique exagérément complexe dans sa configuration s'active un théâtre très modeste que j'ai pu voir, en marge du festival de théâtre à Avignon (off festival) au courant de l'été 1975.
La troupe s'appelait " la tempête " et elle se composait de maghrébins émigrés en France qui avaient opté par le théâtre comme moyen d'expression afin de communiquer aux autres leur cause ainsi que leurs préocupations . L'objectif était de communiquer avec les autres dans la quête d'une solution rationnelle à leur situation abjecte . La pièce présentée avait pour titre " ça travaille , ça travaille , et ça ferme sa gueule."

Pour assister à la représentation , je m'étais installé sur un simple banc de bois que je partageais avec d'autres spéctateurs . Je venais d'avoir une journée éreintante que j'avais passée , debout , dans un train bondé de Paris à Avignon et où j'avais toutes les peines du monde à trouver un endroit où poser le pied durant tout le trajet par un temps de canicule . Il était donc onze heures du soir et je m'étais installé sur ce banc de bois prêt à continuer mon sommeil que j'avais commencé lors d'une représentation précédente ; un monologue dont le thème était l'expatriation de Nazim Hikmet , le poête turc , dans son exil , comme réfugié politique adulé loin de son pays qu'il chantait dans ses poêmes . La réprésentation était plus qu'ennuyeuse avec la prestation univoque , j'avais profité de l'obscurité de la salle pour sombrer dans un profond sommeil dont je ne m'était réveillé qu'au son des applaudissements qui me fit comprendre quele spectacle venait de prendre fin . C'est pour cette raison que , installé sur ce banc de bois , après cette représentation soporifique , je m'apprêtais à continuer mon sommeil .
Mais , à peine , avais-je commencé  à suivre la nouvelle représentation que j'oubliai ma fatigue et mon infortune comme si j'avais dormi plus de dix heures. La pièce théâtrale avait pour thème , le drame de l'émigré maghrébin de condition modeste , en France . Elle montrait comment il était abusé dans son pays , par le recruteur de main d'oeuvre , qui lui faisait traverser , avec ses semblables , les frontières  de l'émigration clandestine comme on l'aurait fait d'un troupeau des moutons . Elle montrait également comment le fonctionnaire préposé aux frontières fermait les yeux en échanges d'un pot de vin . On voyait aussi comment étaient livrés ces hommes aux entrepreneurs qui les utilisaient dans les travaux routiers et le bâtiment tout comme ils subissaient l'oppression  et le racisme sur la vie publique , dans leurs lieux d'habitation ainsi que sur leurs lieux de travail et tout ceci pour ne reçevoir, en fin de mois, qu'une partie de leurs salaires et parfois même pas, car ils ne pouvaient s'adresser a personne pour défendre leurs droits n'ayant "aucune éxistance légale dans ce pays". La situation de ses opprimés que l'on désigne par le vocable "les sans papiers" était des plus insupportables ( elles l'est d'ailleurs toujours) au point que trente sept d'entre eux entamèrent une grève de faim en 1973, pendant la période transitoire qui suivit le décès de G. Pampidou. Ils allèrent jusqu'à menaser de s'immoler par le feu si l'ensemble des maghrébins travaillant clandestinement ne recevaient pas les documents légalisant leur résidence et leur travail en France. Ils refusèrent en outre de voir leur propre situation régularisée en échange de quoi il devait mettre fin a leur mouvement, ce qui poussa les autorités françaises à faire la promesse d'étudier leurs revendications. Durant cette grève de fin, les protestataires s'étaient mis a scander des chansons qui disaient ce qu'ils subissaient comme oppresion, humiliations, racisme et exploitation dans leurs expatriation. Les gens sympathisants avec eux affluerent. Il y avait certes des maghrébins mais également des citoyens français qui se mirent a chanter avec eux, en arabe, les chansons qui dénoncaient ce qu'ils enduraient comme situation en dépit des moindres droits humains...C'est de l'évolution spontanée de cette action qu'est né un mouvement culturel de l'émigration maghrébine en France, plus éxactement, dans les quartiers périphériques de Paris et des autres grandes villes, la Goutte d'or , dans le quartier de Barbès à Paris et que l'on peut qualifier de "ghetto" ainsi que dans le midi de la France spécialement à Aix-en-Provence, et Marseille. Ce mouvement culturel visait à combattre le racisme ainsi que l'exploitation dont étaient victimes ces "modèstes" travailleurs dans la société française, en montrant leur patrimoine maghrébin lyrique, théatral et divertissant, dans le cadre de festivals et manifestations culturelles altérnatifs aux programmes culturels officiels que s'évertuaient a promouvoir les mairies d'Avignon et d'Aix-en-Provence pour attirer les touristes étrangers.

Et j'étais un de ceux-là. Je venais d'Allemagne, ou j'éxercais comme professeur d'université, pour assister au festival théâtral d'Avignon dont j'avais tellement entendu parler. Ma chance fut donc d'avoir été réveille de mon profond sommeil, dans lequel m'avait plongé les spéctacles de ce festival célèbre, par la représentation de cette troupe qui ne comptait dans ses rangs aucun acteur professionnel. Plus que cela, cette troupe n'avait eu recours au théâtre que pour communiquer avec le publique en utilisant un moyen inhabituel afin de lutter. C'est pour cette raison que je propose dans mon discours théorique - le discours de l'interférence culturelle - que les chercheurs puissent avoir la possibilité d'une approche contrastive des différences socio-culturelles objectives afin d'éviter toute ambiguité dans la perception des signes et innotations culturels propres à un système de valeurs et de culture different. Par cette rechèrche contrastive (et par conséquant comparative ), il est possible de transformer l'interférence (au sens négatif) entre les civilisations en intéraction positive entre elles basée sur une percéption consciente des différences objectives entre l'être et l'autre sans faire de l'être le centre ni marginaliser l'autre, sans non plus se fondre de manière éperdumant romantique dans l'autre, mais plutôt en entretenant avec l'autre des rapports tels qu'ils permettent une percéption plus claire de la réalite socio-culturelle de l'être et par voie de conséquence une plus grande capacité a enrichir l'être et également l'autre pour que cesse l'injustice et l'oppression à l'encontre de ceux qui donnaient la représentation  comme portes-paroles de près d'un million et demie d'arabes émigrès sans papiers officiels leur autorisant le travail et la résidence dans la France de l'époque (milieu des années soixante dix .) Certains citoyens français jouaient avec eux quelques rôles dans cette représentation et parmis eux une femme : Mme Clancy, professeur de philosophie , dont le mari , M.Clancy , professeur de théatre à l'université de Vincènnes, actuellement université Paris VIII, aidait la troupe non professionelle ( en jargon    spécialisé ) dans la mise en scène . L'écriture , quand à elle , était colléctive et ne perdait pas de vue ; l'objectif premier de la pièce : se libérer de l'injustice et de l'oppression . J'avoue que je n'ai compris quelques signes de la représentation qu'après en avoir discuté avec quelques acteurs /militants , luttant pour leurs droits par le moyen du théâtre , et ils m'éxpliquèrent ce qui m'avait échappé . Il s'avera que certains de ces signes dévoilaient des personalités publiques connus à l'époque pour leur hostilité vis à vis des étrangers et leur situation difficile . C'était donc un théâtre de libération qui visait à mettre fin à l'oppression et la duprie dont étaient victimes les émigrés arabes , et appelait les spectateurs à soutenir leur cause et se solidariser avec eux dans leurs revendications . C'est pour cela que ce théatre "modeste" avait réussi à transgresser les barrières du théâtre conformiste centré sur ses stars narcissiques et le dépassa de très loin au point de casser la barrière artificielle qui séparait la scène et le spéctateur devenant ainsi un phénomène culturel dont la presse française de l'époque se fit l'écho en reconnaissant la supériorité évidante.

A Aix-en-Provence, le même mouvement culturel présenta d'autres oeuvres théâtrales luttant pour les droits spoliés des émigrés en France. 
Parmi celles-la, à titre d'exemple, la pièce"Vive la France, immigre silence" qui utilisa le patrimoine de la "Halka" (le théatre en rond) venant de l'Afrique du Nord dans un spéctacle de rue a Aix-en-Provence.
 La pièce commencait par la scène d'un groupe de touristes étrangers suivant un guide qui leur décrit les jets d'eau d'Aix et vantant son vieux quartier. C'est à ce moment qu'un émigré maghrébin s'adresse à l'un des touristes et lui dit : "Tu ne voudrais pas voir le vrai visage d'Aix?". Le guide interloqué met en garde le touriste contre "l'arabe", mais  le touriste, faisant fi de la mise en garde du guide, suit l'arabe pour voir le vrai visage de cette ville légendaires . L'arabe l'entraine alors dans une maison sombre, menacant ruine, lui fait gravir des escaliers fort usé, brulant et le fait entrer dans une pièce pleine de lits sur lesquels les gens dorment encore, car c'est un jour de conge hebdomadaire. Le touriste stupéfait, lui demande alors : "Vous tenez une réunion ici?". L'arabe immigré lui repond en souriant : "Une reunion?! Nous, nous vivons tous ici. Plusieurs dizaines dans cette pièce mal aérée, aux murs et au plafonds rongés. Malgré cela, nous payons les loyés les plus élevés pour béneficier de ce haut standing". Puis il ajoute : "Suis-moi, je vais te montrer le meilleur". Et il l'entraine vers la cuisine d'ou emanent des odeurs désagréables. Le touriste se met le mouchoir sur le nez et demande à sortir immédiatement de cet endroit ce quoi l'immigré lui replique : " Tu vois. Toi, tu ne peux pas rester ici quelques instants, alors que nous, nous y vivons des années et des années. C'est ça le "miracle" de la vie à Aix : la vie des travailleurs étrangers. C'est ça le vrai visage de cette ville..." Le touriste étranger retourne alors auprès de ses compagnons leur raconter ce qu'il a vu et ce que eux n'ont pu voir de ce drame. Cette pièce, ou s'effaçaient les barrières entre le théâtre et la vie, était jouée, à Aix-en-Provence, sur la voie publique et le publique se mettait en rond tandis que les acteurs , les gens concernes par la cause et pour laquelle ils militaient en la théâtralisant, entraient dans le cercle de la représentation et en sortaient pour s'intégrer au public qui les entourait, puis retournaient dans le cercle pour interpreter leurs rôles et ainsi de suite...Très souvent, le public intervenait dans la représentation pour soutenir, s'opposer ou sympathiser ce qui provoquait un débat improvisé entre lui - le public - et les acteurs militants avec l'armé du théâtre pour leurs droits spoliés. Et leurs improvisations n'avaient rien a envier à leurs rôles écrits à l'avance. C'est que la structure fondamentale de la pièce, non seulement autorise ce type d'improvisation, mais elle l'integré a sa strategie, comme élement essentiel dans le processus de communication dramatique avec le public. Il en a resulté que la langue utilisée dans ce théâtre en rond n'était pas fixée à l'avance mais elle dépendait de la composante du public qui formait le cercle. S'il était composé d'arabes immigrés - par exemple la représentation était donné dans l'arabe parlé marocain / algérien / tunisien et si le public était français c'était la langue française qui était privilègiée. 

S'il arrivait que le public était composite alors la représentation mêlait le français et l'arabe ( une sorte de "franco-arabe") et il pouvait arriver que la langue utilisée passa du français à l'arabe ou l'inverse suivant les recompositions du public au cours de la représentation...Et quand cette représentation fut donnée à Marseille, voilà un quart de siècle, et que le public fut rejoint par les marins pêcheurs qui étaient en grève pour appuyer leurs revendications vis-a-vis des patrons de pêche, les ouvriers de la pêche mirent les filets de pêche sur les épaules et improvisèrent une "pièce théâtrale " qu'ils composèrent immediatement. Dans cette pièce, ils représenterent la duplicité des patrons pêcheurs qui les abusaient quand il s'aggissait de leur verser leurs revenus qui correspondaient à la quote part de la cargaison, arretée d'un commun accord . Or les marins pêcheurs ne recoltaient que les miettes du fruit de leur labeur que voulaient bien leur verser les patrons pêcheurs après que ceux-ci eurent vendu le résultat de la pêche sur les marchés, sans leur contrôle strict . Bien sur, les patrons prétendaient, toujours, que les cours des poissons étaient bas alors qu'ils mettaient dans leurs poches la difference entre le prix de vente réel sur le marché et le prix qu'ils déclaraient avoir obtenu et sur la base duquel ils calculaient la quote part revenant, comme convenue, aux marins pêcheurs...
Ainsi, nous voyons que la halka ( le théâtre en rond ) venue du maghréb ne s'est pas seulement greffe au patrimoine théatral en France ; processus designe - dans la théorie de l'acculturation - par le concept d'acculturation inversee et que je designe dans mon discours théorique par l'interaction socio-culturelle qui s'oppose à l'interférence socio-culturelle. C'est donc ainsi que le théâtre de la "Halka" maghrébin, a non seulement enrichi le théâtre français, en lui apportant la spontaneite, le lien direct avec les besoins culturels et sociaux du publi, mais il a également à transformer le public spectateur en "acteur" de ses problèmes d'éxistence et de ses luttes, alors que les acteurs de la représentation elle-même, après leur interprétation, se transformaient en spectateurs. Ainsi est levé le hiatus entre l'acteur éxecutant un rôle "établi à l'avance d'une manière determinée" et le public passif regardant, une représentation sans y "intervenir" suivant l'idée selon laquelle toute intervention du spectateur est une atteinte aux "droits" de la représentation ( ! )  et empiétement sur "les prérogatives professionnelles" des acteurs et des metteurs en scène. Oui, non seulement la "Halka" lève totalement le hiatus artificiel, mais le spéctacle improvisé qu'elle autorise, conduit à représenter le conflit social que vivent les improvisateurs eux-mêmes dans "l'arène" de leur vie quotidienne ce qui induit l'improvisation des spectateurs, d'une pièce parallèle ou ils représentent la drame de leurs conflits sociaux.

Jean Duvignaud a essayé d'emprunter le concept d'anomie à Emile Durkheim pour caractériser le phénomène de la naissance du théâtre. Je ne pense pas que ce concept est à même de décrire ce phénomène que je désigne comme étant une interaction socio-culturelle théâtralisee. Car, bien que le conflit économique constitue l'arrière plan géneral du conflit culturel et social, il n'en est pas moins que c'est le contact entre deux cultures différentes chacune d'elles ayant son propre patrimoine théatral qui a abouti à ce phénomène d'enrichissement théâtral qui a influence la vie culturelle en France et lui a apporte une dimension nouvelle qui lui manquait.
Certains se demanderont : "tu parles de ce "modèle" théâtral, la "Halka" maghrébine en France qui remonte à vingt six ans. Qu'est-ce qu'il en est aujourd'hui, au début du 21ème siècle ?". Ma réponse est que, à ma grande déception, ce modèle second de l'histoire passé , ou quasi passé , depuis que certains acteurs de ses représentations du "théâtre pour soi" n'abordant que de très loin leurs problèmes et préoccupations au lieu de s'y fondre organiquement. Ceci revient surtout à leur faiblesse devant les projecteurs qui furent braqués sur leur experience première par les médias français, la presse libérale surtout, ce qui les amena à"préferer" devenir les "stars" d'un théâtre, puisant dans le drame des immigrés "les themes" de ses représentations. C'est ainsi que fut enterre une experience de la main de ses initiateurs, ce qui était le signe de l'enterrement du mouvement culturel militant pour les droits des immigrés arabes en France et qui avait été initiée en 1973 par la grève de faim.

C'est l'experience particulière, entérree très vite qui m'inspira l'idée du "théâtre de la vie" que j'aimerais pouvoir concretiser un jour. Quant à cette experience théâtralequi fut entérree par le fait qu'elle a voulu séparer le théatre et les questions sociales.
J'espere pouvoir, prochainement, en publier les documents qui sont en ma possession pour qu'ils soient à la disposition de ceux que le théâtre interesse, afin de tirer profit tant des aspects positifs que négatifs de cette experience.
 
 

Après avoir suivi ces modèles de théâtre, permettez-moi de poser deux questions: N'y a – t-il pas un metteur en scène capable de sauver l'humanité de la tentative d'hégémonie d'un modèle sur l'autre? Comment cela sera t-il possible dans le théâtre?

Je pense que cela sera possible si le plus fort et la plus féroce cesse d'imposer et de généraliser sa propre culture. C'est que la plus féroce oppression n'est autre que celle qui use des armes de la culture et de l'information de façon telle qu'il soit impossible à celui  qui n'est pas spécialiste ou averti de démasquer le faux dans son discours et qui, ainsi, ne tarde à tomber dans leurs pièges et à se faire l'écho de sa catégorie sans se rendre compte de leurs contradictions et sans arriver à satisfaire ses besoins réels.

Si jamais les mécanismes de généralisation du spécifique sur l'ensemble des autres particularités socio-culturelles figurent , la prétendue suprématie de ce spécifique dominant et la fragilité des particularités dominées, la recherche critique doit se faire un devoir de démasquer la faiblesse de cette tendance dominante même et les aspects positifs, non seulement dans le modèle qui tente de dominer, mais également dans les autres modèles marginalisés et dominés.
D'ou la nécessité de l'illumination critique afin d'éliminer cette irrationalité qui prépare le terrain et justifie toutes les formes de conflits et de luttes entre les hommes, que ce soit au niveau d'un même pays –  comme on le constate en Amérique du Nord entre les "blancs", d'origine Européenne, et les hommes de couleurs ainsi que les noirs, ou bien au niveau des relations entre pays – comme c'est le cas entre les cultures du nord "et ses théâtres" et les cultures du sud et leurs patrimoines dramatiques.

Cependant je ne pense pas que le fait de se débarrasser de la relation de domination des modèles de théâtre soit réalisable par un simple désengagement entre ces modèles, bien qu'une connaissance constructive de la différence objective entre les diverses particularités socioculturelles soit nécessaire à la mentalisation de l'image de soi et celui de l'autre profondément subjectif.

Si cette carte contrastive basée sur la connaissance objective et précise de la différence de soi par rapport aux autres entités socio-culturelle est réalisée conformément à cette méthode que je propose, il sera possible à ceux qui appartiennent à toutes les particularités cocio-culturelles de profiter de la différence des réalisations culturelles accomplies par les autres particularités. Il s'agit là d'un grand projet qui peut être adopté – je l'espère – par l'organisation des Nations Unies, d'autant plus que ce  sujet trouve son écho dans ce que l'actuel l'assemblée général de l'O.N.U. a déjà désigné "Diplomatie préventive".
Mais partant de la conscience de la différence de la culture de soi et ses besoins que l'analyse et le démontage du phénomène culturel d'une autre particularité suivi du montage des éléments de celle-ci qui conviennent au développement et à l'impulsion du modèle émanant du contexte de l'entité socio-culturelle vers des nouveaux horizons.
 
 

Notes 

1. Vajda, Gyoergy: Gibt es eine europaeische Literatur neben den Nationalliteraturen/Einzelliteraturen Europas?, in: Europa Provincia Mundi (Leerssen, Joep; Syndram, K.-U.), Amsterdam-Atlanta,1992, p.101.

2. Selon une conférence plenière que Jean Duvignaud a fait en 1984 à l'Institut du Théâtre de l'Académie des Arts du Caire.

3.Voir la note précédente.

4. Voir mon livre: Brecht in Aegypten: Versuch einer literatursoziologischen Deutung, Bochum, 1976, chaptre 1.

5. Voir son livre: Das politische Theater, dans lequel il a ésquissé ses éxpériences théâtrales de l'époche à Berlin.
 
 
 

Magdi Youssef initiated a program of contemporary Arabic literature and culture at Cologne University after intensive debates with German Orientalists still focused exclusively on Classical studies (in 1962–65). Youssef taught the program from a comparative perspective from 1965 to 1971. Since 1971, he has taught this subject at Bochum University, focusing on modern Euro-Arab socio-cultural interactions. From 1983 to 1984, he taught methodology of research at the Institute of Art Criticism of Cairo’s Art Academy, subsequently Drama Studies and Comparative Literature at the Faculty of Arts (for more than twenty years), and for three years methodology of research at the Faculty of Mass Communication of Cairo University. Youssef was a visiting Professor at Trinity College Dublin in 2000 and Bonn University in 2009. He is currently a research fellow at the International Research Center for Interweaving Performance Cultures,  Free University Berlin. Youssef’s works have been published in six European languages and Arabic. His epistemological critique of Euro-Western-Centrism was  influential in Italy and became part of the curriculum of La Sapienza University (Rome). His book Brecht in Aegypten: Versuch einer literatursoziologischen Deutung (The Reception of Brecht’s Theater in Egypt: A socio-literary approach), Bochum 1976, refuted eurocentrism two years before Edward Said’s Orientalism did. Due to its demystifying methodological approach, this book has been reviewed  fifteen years in a row until 1990 in Germany, France, Canada and the USA.                             
For more information: http://en.wikipedia.org/wiki/Magdi_Youssef
 
 
 
 
 

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